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Karima Taieb – « Au nom de ma mère »

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Gamine, je n’avais pas forcément rêvé de devenir joueuse professionnelle. J’avais toujours joué au foot mais jouer gardienne est arrivé sur le tard. Avec ma mère on s’était même un peu étonnée lorsque Montpellier était venu me voir pour que je signe avec eux alors que j’avais tout juste 14 ans.

Aujourd’hui j’ai 31 ans et j’ai signé un nouveau contrat avec Manchester City. La vie nous emmène parfois bien loin de chez nous, et c’est parfois le meilleur chemin pour être heureux.

Il faut dire que ça doit être un peu dans les gènes, ce goût pour le voyage. Mon grand-père Mohamed a quitté Nador et le Maroc pour l’Algérie où il a rencontré ma grand-mère Zohra. C’est à Alger qu’est née ma mère Yamina, au début des années 60. Elle est la troisième d’une fratrie de huit enfants.

À sa naissance, l’Algérie est frappée par la guerre d’indépendance, mon grand-père décide donc d’emmener sa famille tenter sa chance en France. Je vous passe un peu les détails du premier stop que la petite famille fait à Marseille mais mon grand père finit par trouver du travail dans les mines de charbon, au Bousquet d’Orb près de Béziers. C’est là qu’un nouveau chapitre va s’écrire pour nous.

J’ai la chance d’avoir grandi dans une grande famille unie et joyeuse, où il était impossible d’échapper aux discussions animées entre mes nombreuses tantes et oncles (Nora, Gamel, Louisa.. ils se reconnaîtront) où tout le monde est là pour les autres. Comme je vous disais, mes grands parents ont eu huit enfants, vous vous imaginez que ça fait beaucoup de cousins, la paradis pour s’amuser quand on est gamins.

Le Bousquet d’Orb c’est un coin typique du sud de la France, on a la montagne, la rivière, la garrigue, les copains. La Méditerranée n’est pas loin. On partage notre temps entre le jardin de nos grands parents et la rivière. Quand on est autant de cousins cousines du même âge, ça rapproche (et puis bon, on va pas se mentir, ça fait aussi les 400 coups hein). On était tout le temps tous ensemble, on faisait des petites bêtises. Pas de folies non plus, je n’ai jamais été du genre tête brulée. Au pire on trichait en remplissant un peu trop nos sacs de bonbons à la boulangerie, on était loin du grand banditisme.

Le foot était déjà présent dans ma vie mais je mentirais si je disais que plus jeune je m’étais imaginée vivre ce que j’ai vécu ces derniers mois. Je dois dire qu’un Manchester City / Manchester United devant 20.000 personnes je ne m’étais jamais préparée pour le vivre.

Comme je vous le disais, je suis devenue gardienne un peu par hasard. Enfin, un hasard de la vie qui est devenu un tournant. Comme beaucoup de hasards le sont dans la vie.

Un jour avec mon club de US Bédarieux on joue la finale départementale de la coupe fédérale contre Montpellier. Autant vous dire que déjà pour affronter Montpellier on avait dû affronter tout le gratin de la région. Le MHSC c’est la plus grosse équipe du coin et surtout on connaît tous la réputation du club à l’échelle nationale. C’est donc dans ce contexte qu’on se retrouve à jouer ce match sans notre gardienne. Je vais pas faire un suspense pour rien, qui est-ce que qui finit dans les buts dans cette histoire? Kari évidemment.

Je n’avais jamais joué sérieusement dans les buts et là je fais le match de ma vie. Derrière Montpellier m’offre ma chance. De là, tout s’est accéléré. J’étais au centre de formation à Montpellier, ma mère et mon beau-père Alain faisaient les allers retours entre la maison et le centre. Je me révèle au poste de gardienne, je suis même performante. À 15 ans, je suis admise au Pôle France à Clairefontaine et j’ai l’honneur de porter le maillot Bleu pour la première fois.

Mon beau-père et ma mère ont été hyper présents. Ils ont été là dans tous les moments, les bons, les moins bons et même les déménagements 😉

Ils le faisaient pour moi, parce que j’aimais ça. Il y avait une certaine forme de fierté mais d’ambitions démesurées. Ils étaient fiers que je fasse quelque chose que j’aime et que je sois douée pour ça. Ils m’ont transmis l’importance de prendre du plaisir, de l’humilité. Grâce à eux, ma boussole a toujours été de chercher à être heureuse et de garder les pieds sur terre. Tout simplement.

Au Bousquet d’Orb avoir une petite du pays en Équipe de France ça fait un peu parler les gens (en bien). Je devais occuper quelques conversations pendant les lotos à la salle des fêtes. Heureusement avec les parents que j’ai, peu de chance de prendre la grosse tête ou de se prendre pour quelqu’un d’autre. En revanche s’ils m’ont bien transmis un truc c’est de profiter des bonnes choses qui s’offrent à nous et de les apprécier.

J’ai construit ma carrière comme ça, à mi-chemin entre le plaisir et le travail. Alors quand ça a été plus dur dans ma carrière, heureusement j’ai toujours pu compter sur eux. Et j’ai toujours pu prendre exemple sur eux. Mon beau père Alain, calme, droit, sérieux et ma mère Yamina, elle c’est l’enthousiasme à l’état pur, une force. Elle a tout fait pour qu’on réussisse, qu’on soit heureuses, ma petite soeur Pauline et moi. Ma mère, c’est un personnage, elle dégage un truc, elle peut motiver n’importe qui en entrant quelque part. Je ne sais pas si c’est directement lié mais elle travaille avec des personnes âgées, ce truc de prendre soin, de transmettre, d’aimer la vie, c’est en moi sûrement grâce à tout ça.

Et comme je le disais, quand ça a été plus compliqué dans ma carrière, j’ai su trouver les ressources en moi pour rebondir. Même quand je ne voyais pas trop d’issues.

L’année 2019 n’a pas été la meilleure de ma carrière sportive. Après ma dernière année à Paris je me suis même posée des questions sur la suite, sur ce que j’avais envie de faire, continuer le foot ou pas. Ce n’est pas évident de savoir ce qu’on veut faire de sa vie quand on a des doutes et surtout quand on fait la même chose depuis qu’on a 14 ans. On ne se sent plus à sa place, quand la passion qui vous anime depuis petite n’est plus qu’un vague souvenir. Je rentre au Bousquet d’Orb à la fin du championnat bien décidée à prendre du temps pour moi, avec les miens, me ressourcer.

J’arrive à un tournant de ma vie. Je me sentais prête à tenter l’aventure à l’étranger.

Ça doit être écrit comme ça chez nous, partir découvrir le monde, se redécouvrir ailleurs. L’Espagne me faisait envie, l’Angleterre aussi. Je n’avais pas vraiment de représentation du niveau des équipes, mais culturellement ça m’attirait bien de voir comment on peut vivre le foot ailleurs.
Et la lumière est venue d’Angleterre avec un club qui s’est manifesté: Manchester City.

En plus, vous ne le savez sûrement pas mais j’adore Ederson, le gardien brésilien de City. Alors quand ils sont venus prendre la température j’ai eu des coeurs dans les yeux. Derrière ça va vite, visite des installations, très bon feeling avec les dirigeants, le staff, trois/quatre jours plus tard, je signais.

Même après 16 ans de football professionnel, je suis arrivée dans une nouvelle galaxie. Terrains et installations magnifiques, j’ai découvert ce que c’était que le très haut niveau. On t’accueille et on te met dans les conditions pour te montrer qu’ici on est à la hauteur de nos ambitions. Deux jours après mon arrivée, j’étais à l’Etihad Stadium pour le derby de Manchester avec 20.000 personnes en tribunes.

 

C’était merveilleux, j’ai réalisé que grâce au foot, grâce à Manchester City, je pouvais vivre des trucs incroyables. Je pouvais à nouveau rêver.

À Manchester, j’ai retrouvé le goût du football, le goût du travail. J’ai redécouvert l’essence du foot et je me régale. C’est une renaissance à tous les niveaux.

Aujourd’hui Manchester m’offre une seconde vie dans le foot. J’ai l’opportunité aujourd’hui de remercier ce club, de lui rendre hommage pour ce qu’il m’a donné comme fierté: celle d’honorer ses couleurs et son maillot. C’est donc tout naturellement que j’ai également choisi ce moment pour faire honneur au nom que je porterai sur mon maillot cette saison.

Dorénavant, je porterai le nom de ma mère, de mes grand parents: Taieb. C’est le moment pour moi, de leur rendre hommage pour tout ce qu’ils m’ont donné, apporté, qui a permis de me construire en tant que femme et aussi de me donner la chance d’être heureuse et de vive mon rêve.

Aujourd’hui je veux honorer mon club mais aussi ma mère, en choisissant de porter fièrement son nom sur mon maillot.

Merci Manchester de me permettre de vivre passionnément le football. Merci à mes grands parents de m’avoir transmis leurs valeurs. Merci à ma mère de m’avoir permis d’être la femme que je suis aujourd’hui.

Je ferais honneur à ton nom. Je ferais honneur à notre nom.

Karima.

 

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