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Paul Willemse

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Privé de Coupe du monde, son rêve de gosse, Paul Willemse a une histoire française à raconter. La sienne. Words.

Deux jours. C’est la coupure requise en cas de coup dur. 48 heures pour crier, pleurer, ressasser, bouffer. Le combo nécessaire pour extérioriser la frustration qui sommeille en moi. Une brève période négative et solitaire dont j’ai toujours eu besoin pour pouvoir accepter les échecs et mieux rebondir. Une passade sauvage qui a rythmé mon retour à Montpellier depuis Marcoussis. 
 
Dans l’avion qui me ramène, blessé, à la maison, je ne ressens que de la tristesse. J’avais beau être dans les réservistes, je suis démoli. Peut-être parce que depuis le début du stage, le sélectionneur insiste sur le fait que le groupe n’est pas constitué et que je faisais le maximum pour montrer que je pouvais être encore meilleur, être plus rapide, plus fort, plus en forme. 
 
Mais s’il y a bien quelque chose que j’ai intégré depuis que je joue au rugby, c’est que les contrariétés et les galères vont de pair avec notre sport. Très souvent. Et si ça ne t’ai pas encore tombé dessus, tu peux être quasiment sûr que ça va arriver. 
 
Les larmes séchées, les cris poussés, j’ai retrouvé ma femme, enceinte d’une petite fille et mon fils, Paul avec un sourire jusqu’aux oreilles. Ça aide à passer à autre chose. À digérer le fait que je viens de passer à côté de mon rêve de gosse de Pretoria : disputer une Coupe du monde. Et si vous vous demandez ce que la France vient faire là-dedans, c’est qu’il faut que je vous raconte une petite histoire. 
 

 
Que sait-on quand on a 21 ans ? À cette époque, je porte le maillot des Blue Bulls, en Currie Cup, à Pretoria. Plein d’ambitions mais sans trop de curiosité, je m’imagine jouer dans mon championnat, je rêve d’une carrière internationale, des trucs auxquels tu penses quand tu es un gamin, quoi. De la France, je ne connais quasiment rien. En revanche, je goûte une première fois à l’échec, quand j’apprends que je ne suis pas retenu dans le groupe élargi qui travaillera en vue de la Coupe du monde 2015. Une situation difficile pour un jeune rugbyman qui fonctionne aux challenges et qui vient d’apprendre que peu importe ce qu’il produira sur la prochaine année, il ne pourra pas aller se frotter aux meilleurs en Angleterre. 
 
 
Alors je commence à réfléchir, à gamberger, même. Je suis là, un peu perdu, en quête d’un but, à me poser tout un tas de questions. Au courant de la situation, mon agent m’explique que quelques clubs sont intéressés en France, dont Grenoble. Je me dis que l’opportunité d’aller découvrir autre chose et d’emmagasiner de l’expérience pendant une bonne année aurait du bon, pour me développer sportivement et humainement. À ce moment, la seule chose qui m’inquiète, c’est que je viens de me fiancer. L’idée était donc de partir pour un an, un an et demi, puis de revenir. Tout le monde me soutenait, ma future femme, ma famille. Alors j’ai fait mes valises. 

Partir vers l’inconnu n’est pas un truc qui m’effrayait. Depuis petit, j’ai l’habitude de bouger. Avec le rugby, évidemment, mais aussi et surtout car mes parents vivaient en Namibie. Être loin des siens, je sais ce que c’est. Mais aussi loin, ce n’est pas anodin. Quand j’arrive à Grenoble, c’est le début de l’hiver. J’ai 22 balais et c’est la première fois que je vois de la neige. Je passe les trois premiers mois dans un bed & breakfast, puis je fais un aller-retour en Afrique du Sud pour me marier. L’arrivée en France avec ma femme a été un moment extrêmement difficile. Elle venait juste de finir ses études de comptable, elle ne parlait pas un mot de français, elle était seule à la maison, dans notre petit appartement, pendant que je m’entrainais. Pas vraiment la vie rêvée pour deux jeunes mariés. 
 
 
A cette époque, on découvre ensemble un nouveau pays, sa culture, ses habitants. On ne se rend pas toujours compte, mais à ce moment, il y a un tas de choses qu’on ne comprend pas. Ça me fait rire quand j’y repense aujourd’hui, mais même pour un truc aussi basique qu’aller faire ses courses, on a un peu peur. Je craignais qu’on me demande quelque chose et que je ne comprenne pas. Pareil pour ma femme. Tout ça m’a mis un peu sous pression. Mentalement, je ne me sentais pas bien et ça se sentait sur le terrain où je n’étais pas terrible. Alors quand Jake White a signé à Montpellier, emmenant avec lui quelques gars que je connaissais, ça m’a chamboulé. La décision de quitter Grenoble, c’est quelque chose qui ne me ressemble pas. Par ça, je veux dire que je pense être un homme fiable, de parole, et que les gens savent que quand je m’engage, ils peuvent compter sur moi. Mais à ce moment précis, j’avais la conviction d’avoir besoin de changer d’atmosphère pour ma famille. Et je ne l’ai pas regretté. 

L’arrivée à Montpellier a été un véritable déclic. En terme de cadre de vie, d’atmosphère, on se sentait mieux. Sans doute parce qu’on comprenait le français et le parlait de mieux en mieux. Aussi parce que d’un point de vue rugbystique, je prenais beaucoup de plaisir. C’est lors de cette période que ma femme et moi nous sommes sérieusement demandé quelle suite donner à notre vie et à notre famille. La vie des sportifs se construit autour de contrats, celle d’un homme et de sa famille sur une notion de stabilité. Notre premier enfant, Paul, est né en 2017 et on se devait de penser à la vie que l’on souhaite lui offrir. La reflexion n’a pas été bien longue. On était incroyablement heureux ici et je souhaitais que notre fils naisse ici, qu’il soit Français et qu’il évolue dans un cadre que je juge meilleur pour élever un enfant que dans mon pays d’origine, l’Afrique du Sud. C’est ici, en France, que je suis devenu un adulte. Mais comme le jour où j’ai quitté Pretoria pour Grenoble, ma décision de rester en France pour y vivre et y élever mon fils devait être suivie d’un challenge sportif. 
 
Au moment même où j’ai décidé que le pays qui m’a vu devenir un adulte serait celui où ma femme et moi construirions notre famille, j’ai pensé que je devais tout faire pour porter le maillot de l’équipe de France. J’étais prêt à faire tous les sacrifices. À cette période, je jouais bien et malgré la complexité autour du statut de joueur étranger, j’étais prêt à me battre. C’est comme ça, dans le rugby, les gens négatifs sont ceux qui parlent le plus fort. J’étais trop gros, trop costaud, trop ceci, trop cela. Mais je suis encore là aujourd’hui. 
 
Ce qui était dur dans cette quête de bleu, c’est le fait qu’un jour, les feux étaient au vert, puis le lendemain, c’était « on ne prendra plus de joueurs étrangers en équipe de France ». C’était perturbant. J’étais prêt à ne pas être appelé car je n’étais pas assez bon, mais je voulais vraiment avoir ma chance. Au début de la saison dernière, le sélectionneur a parlé à Vern Cotter et il lui a dit que si j’étais bon, je serais considéré comme une option. Dans la foulée, j’ai bossé comme jamais j’ai bossé et j’ai perdu 15 kilos, et pas uniquement parce que j’en ai sué pour obtenir la nationalité française ! 
 
 
J’ai du faire venir des papiers d’Afrique du Sud, passer des entretiens, remplir des tas de trucs, re-remplir des papiers. Je n’ai pas reçu d’aide du monde du rugby mais l’idée d’être traité comme un ressortissant étranger comme les autres est totalement normale à mes yeux. Ça n’a rendu que meilleur le moment où j’ai eu mon passeport. Il faut comprendre qu’avoir cette nationalité, c’est beaucoup plus que du rugby. C’est l’aboutissement de choix de vie et une deuxième naissance, en tant qu’adulte. Quand j’arrive à Grenoble, à 22 ans à peine, je ne connais rien, je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, je ne sais pas de quoi demain sera fait. Le passeport, il représente ma rencontre avec la France et une succession de décisions qui m’amènent aujourd’hui à me dire que je suis au bon endroit. La vie, c’est comme ça, tu navigues à vue et parfois, ça se passe bien. Tu rencontres des gens, tu découvres des choses et tu te dis, après une vie à barouder, que tu es bien, que cette culture te plait et que tu es heureux que ta fille, qui va naître dans quelques semaines, soit française. En France, j’ai découvert ce que c’était de profiter de la vie, de ses amis, vivre de manière que je qualifierais peut-être de plus insouciante mais de plus agréable. Mais puisque vous apprenez à me connaître au fil de ces lignes, vous avez compris qu’à ce passeport « physique », il manquait un passeport plus symbolique. 
 
 
Le jour de l’annonce de ma sélection pour le tournoi des six nations, personne du groupe France ne m’avait prévenu que je serais pris. J’étais chez moi, à la maison, en ayant la certitude que j’avais bossé dur mais en étant pas certain d’en être. En Afrique du Sud, ma famille était devant Canal + en streaming, et quand la nouvelle est tombée, ma mère pleurait à l’autre bout du monde. Pfiou, c’était dingue ! Quand j’étais petit, je rêvais de jouer au rugby au niveau international, alors me retrouver là, à un niveau encore supérieur au Top 14, avec ces gars dont certains sont devenus des amis, à porter le survêtement du pays qui m’a vu devenir un père, c’était fou. Mais la vérité, c’est que j’étais aussi heureux que nerveux. Ça s’est vu contre le Pays de Galles. A ce moment-là, tu penses trop. Tu penses à tout ce que tu dois faire, tu as l’obsession de bien jouer et surtout, tu penses à tout ce que tu as vécu pour en arriver là, toutes les galères. Tu es là, tu joues pour le XV de France, quelques années après avoir pris le pari de quitter ton pays sans trop savoir ce que tu allais trouver, à part les premières neiges de ta vie.
 
 
Les 48 heures de décompression m’auront au moins servi à ça. À réaliser le chemin parcouru et à me donner envie de me remettre au boulot pour faire encore mieux qu’être à 100% derrière mes amis et collègues à la fin du moins de septembre. Elles m’auront servi à ça et à me redonner le goût d’une bonne grillade. Ouais, c’est quand même cool d’habiter dans la région montpelliéraine.  
 
En somme, j’encaisse cet uppercut et j’avance. Car c’est dans ces moments que l’on sait qui vous êtes vraiment et que c’est en se battant que l’on transforme les moments difficiles en bonnes périodes. “I’m looking forward for the future”
 
Paul.

PAUL WILLEMSE

International Français, Deuxième ligne au Montpellier Hérault rugby

Finaliste du championnat de France 2018

Vainqueur du Challenge Européen 2016

Meilleur deuxième ligne du Top 14 2016

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