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Tess Laplacette – « À jamais les premières »

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À Marseille, l’OM on a ça dans le sang, c’est une histoire de famille, de transmission, de partage. C’est une fierté. Dans tout le sud est, on arbore les couleurs Ciel et Blanc, l’Olympique élevé au rang de religion.

Je suis née à Hyères à coté de Toulon, à quelques kilomètres de Marseille, et par rapport à tout ce que je viens de vous dire, je suis un peu un ovni dans la cartographie des supporters olympiens. Ça va certainement vous faire marrer, mais sachez que je viens sûrement de la seule famille de la région où on s’en fout un peu du foot.

Pourtant, je vais bien prendre la piqure de l’OM. Très tôt dans la cour de récré ça s’est imposé à moi comme une évidence. J’avais 6 ou 7 ans et ce n’était peut-être pas encore le retour du Grand OM qu’on connaît aujourd’hui, mais c’était le club qui me faisait rêver. Je m’imaginais sur la pelouse du Vélodrome, comme n’importe quel minot fan de l’OM.

Il faut croire que j’étais prédestinée à faire les choses en suivant mon coeur et souvent avec beaucoup de convictions. J’aimais l’OM plus que tout mais ça ne m’empêchait pas de trouver que Pauleta ou Juninho avait un truc. Être l’exception qui confirme la règle ne m’a jamais dérangée.

Je me suis construite comme ça, un peu excessive parfois mais entière et passionnée. Le cliché de la fille du sud un peu volcanique? Oui, bon on ne va pas se mentir, ça me ressemble un peu, sur mais aussi en dehors du terrain.

J’ai 7 ans quand je commence à l’ASPTT Hyères (et non au Hyères FC, je suis tombée très tôt dans les derbys), à 5mn de la maison à l’Ayguades. C’est un peu les grandes heures de l’ASPTT, avant la fusion avec LA CRAU pour faire grossir la section féminine. À cette époque là, je n’ai pas trop de joueuses à qui m’identifier. Il n’existe même pas d’équipe féminine à l’OM.

À 10 ans, mon idole a quand même un nom: Louisa Necib. Symbole de la réussite d’une footballeuse marseillaise (oui même si elle joue à Lyon), symbole que venir d’ici et devenir joueuse de football c’est possible. Une inspiration.

Louisa Necib, numéro 10 de l’Équipe de France. Je rêve d’être Louisa Necib et de jouer pour l’Équipe de France. Et aussi pour l’OM mais ça c’est encore une autre histoire et on y reviendra plus tard. Le foot fait grandement parti de ma vie, pour mon plus grand plaisir. Je suis douée,  voire même très douée par rapport à mes potes.

À 14 ans ça s’accélère très nettement, je suis prise pour intégrer Clairefontaine et dans la foulée je passe un test. Enfin je dis un test, je devrais dire LE test. Pas besoin de teaser, vous l’aurez compris, je passe un test à l’OM. Je me rappelle très bien de la veille de ce test, excitée mais pas stressée. Le genre de veillée qu’on adore quand on est gamin, celle qui précède un jour spécial ou vous savez que ça va être une grande journée. Pour moi, c’est une journée qui va changer ma vie.

À 14 ans , je rencontre pour la première fois Christophe Parra, l’entraineur et Caroline Pizzala, la capitaine. Le vendredi 6 juin 2014, c’est un peu le premier jour du reste de ma vie. Celui qui a fait de moi une joueuse de football dans le monde des grandes. J’intègre l’OM pour la saison 2014/2015. J’ai 14 ans et je vais jouer en D2. J’ai 14 ans et je vais jouer en D2, avec le maillot de l’Olympique de Marseille sur les épaules. Il est déjà acté que j’intégrerais le Pôle France et que je redescendrais le weekend pour jouer les matchs. Le ciel n’a jamais été aussi bleu.

Bon, il fallait bien que ça se couvre un peu. Lorsque j’arrive à Clarefontaine, Gérard Prêcheur qui m’avait recruté nous annonce que ce ne serait pas lui le coach finalement. C’est lui qui m’avait fait passer tous les tests et convaincue de quitter mon sud natal pour intégrer le Pôle. Pour l’ado dure au coeur tendre que je suis, ça me fout un coup au moral. Je m’étais projetée avec Gérard avec qui j’avais bien accroché et je marche pas mal à l’affect. Il faudra faire avec.

De notre génération, peu sont allées jusqu’au bout, mis à part Mathilde Bourdieu qui joue aujourd’hui au Paris FC. En revanche, on est proches des 2e et 3e année. Cette année-là le Pôle est délocalisé à l’INSEP et je fais la connaissance d’Elisa De Almeida, Pauline Dechilly, Elise Bonnet, Salome Elisor, Perle Moroni ou les soeurs Cascarino. Beaucoup de très grandes joueuses qui sont aujourd’hui en D1 et en Équipe de France.

Il faut dire que je vis ma meilleure vie à Clairefontaine comme on dit. J’étais comme qui dirait un peu dissipée, pas la dernière lorsqu’il s’agit de faire les 400 coups. Rien de bien méchant, des bêtises de gosses qu’on se rappelle avec nostalgie et qui m’ont surtout permis de comprendre un truc essentiel dans le foot: la cohésion d’équipe.

Parfois ça partait un peu dans tous les sens, heureusement aujourd’hui il y a prescription donc je peux vous raconter. Un soir au pôle on était dans ma chambre avec Elisa De Almeida, Fleurestine Jaffrelot et Mathilde Bourdieu et va savoir pourquoi ou comment mais on s’est chauffée à faire du ventriglisse. Vous savez le truc où on se laisse glisser sur le ventre. On avait foutu de l’eau et du savon partout.. qu’est ce qu’on a ri, surtout qu’on ne s’est pas faites attraper. Mais je passe pas toujours entre les gouttes, vous verrez.

Étrangement, je vis bien l’éloignement, j’aime bien cette indépendance, je me sens « grande » de pouvoir vivre ma passion comme ça. Je vois mes parents chaque weekend et le manque ne se fait pas trop ressentir. J’ai vraiment kiffé cette indépendance en fait. J’avais envie de prendre mon envol, de vivre comme si j’avais 25 ans. J’avais envie de grandir vite.

À 15 ans je joue pour l’OM, mon club. Un rêve éveillé. Je jouais avec des filles qui pouvaient avoir jusqu’à 32 ans, la plupart sont beaucoup plus âgées que moi. Même si je me prends pour une fille de 25 ans parfois, je reste le bébé du groupe, la petite soeur qu’on protège. Et j’ai de super anges gardiens: Camille Perrin, Caroline Pizzala ou Léa Rubiot, la capitaine de l’époque.

Premier match en amical contre Nice. Vous vous rendez compte: je rêvais de jouer pour l’OM et ça y est ce moment arrive et j’ai seulement 15 ans. Je ne serais plus seulement face à mon miroir dans ma chambre à m’imaginer marquer avec ce maillot comme la plupart des gamins de mon âge. Je n’ai qu’une hâte, revêtir le maillot de l’Olympique de Marseille et fouler la pelouse. Ça me fout des frissons rien qu’en y repensant.

Première saison, je joue tous les matchs, titu à 15 ans ! Je kiffe ! On finit 2e, à une victoire de Nïmes. On a toutes cru à la montée. C’est une énorme déception alors que je me voyais déjà, à 16 ans, jouer en D1 avec mon club de coeur.

Dans ma tête je grandis vite et en retour on me demande de prendre des responsabilités. Ça me rend fière mais ça met la pression. Trop peut être.

Côté terrain, pas de problème, je m’investissais à 1000%, que ce soit à Marseille ou à l’INSEP. Au Pôle, ça roule avec les autres joueuses. C’est plutôt en dehors que ça s’est un peu gâté. Avec le nouveau coach Didier Christophe, ça ne s’est pas passé comme je l’espérais. Je vous passe les détails mais je suis remerciée au bout d’un an et transférée au Pôle Espoir de Lyon.

Beaucoup de premières pour moi cette année. Mais ce premier « transfert » je m’en serais bien passée. Je vis ça avec beaucoup d’amertume d’autant plus que j’apprends ça après une grosse déception sportive. On venait de rentrer d’un Euro U17 fantastique humainement et qui s’est achevé sur une malheureuse élimination en demi aux tirs au but face à l’Espagne. Pourtant ça a été un moment unique sportivement et collectivement durant lequel je fais la connaissance de Marie Katoto, Ines Boutaleb, Emelyne Laurent ou Elisa De Almeida.

A mon retour d’Islande, j’apprends que je ne serais pas conservée à l’INSEP et que j’irais au Pôle de Lyon.

Alors autant vous dire que le combo 2e place, élimination avec les Bleues et changement de Pôle, ça fait beaucoup de déceptions à avaler pour une ado de 15 ans. Déjà qu’on a tendance à tout vivre avec un poil trop de passion en général, là c’est dur.

Je suis très en colère, une colère que j’ai d’ailleurs très longtemps gardée et nourrie et qui m’a pourrie la vie à certains moments. Je vivais les événements avec beaucoup d’injustice. Mon affectation à Lyon ne passait pas et je me sentais horriblement seule et incomprise. Personne autour de moi ne pouvait me comprendre. Ma famille n’est pas dans le foot et les gens dans le foot que je côtoie attendaient de moi que je me comportes comme une adulte.

On ne se rend pas compte, et sûrement moi la première à l’époque, à quel point ça peut être déstabilisant de devoir se comporter comme une adulte à 15 ans. Dans n’importe quel autre taf, on imaginerait pas qu’une ado de 15 ans puisse venir travailler et se comporter comme une adulte avec le même recul et la même expérience de vie que tout un chacun. Dans le sport c’est possible. Et ma foi, c’est finalement difficile à vivre.

Au départ c’était une fierté qu’on me considère comme une adulte. Au final, j’ai souffert d’avoir le sentiment de ne pas être à la hauteur.

On va passer tout l’été à Hyères, je reste cloîtrée à la maison. Mi-juillet c’est déjà la reprise avec l’OM. Je pars ensuite pour Lyon un peu mitigée, surtout que je voulais faire une 1ère STMG et on m’oblige à faire une 1ère ES. J’ai vécu ça comme un nouvelle injustice, à partir de ce moment là je me suis braquée. J’avais vraiment l’impression qu’on décidait tout à ma place, ce qui me semblait complètement contradictoire. On attendait de moi que je me comporte comme une adulte mais on me traitait comme une enfant.

Heureusement sportivement, ça se passe super. À l’OM, un seul objectif: la montée. La première montée en D1. Je redescends en train tous les vendredis. Je retrouve ma routine du Pôle de Vanves à Lyon. Match le weekend et retour à Lyon le dimanche soir.

De nouvelles recrues sont venues renforcer l’équipe en conséquence. Une équipe taillée pour la D1. Sandrine Brétigny, Nora Coton-Pélagie, Léonie Multari, Barbara Bouchet ou encore Cindy Caputo. Elles s’intègrent si bien qu’elles nous apportent exactement ce qu’il nous manquait. On est comme une petite famille. Il arrive que les « anciennes » fassent un peu la police ou que les « petites » aillent trop loin, mais comme dans toutes les familles, ça se réglait tranquillement entre nous. Une vie de famille avec des hauts et des bas mais une sincérité et une franchise qui nous ont permis de tout nous dire.

Je crois que ça m’a fait du bien de pouvoir compter sur elles. De pouvoir me dégager un peu de ce poids que j’avais sur les épaules. Je me suis rendue compte au cours de ces années combien c’était éprouvant émotionnellement de grandir.

Encore plus en tant qu’athlète je crois. On doit être au top sur le terrain, sans quoi on a pas sa place, mais on doit être au top aussi à l’école et surtout dans la vie. Je me demande si les gens mesurent l’immensité qui s’oppose à nous quand on quitte la maison à 15 ans pour essayer d’atteindre son rêve. C’est éprouvant de douter, c’est encore plus éprouvant de connaître l’échec, parce qu’à 15 ans le doute nous ronge le bide, la peur de décevoir ceux qui ont cru en toi. Ceux qui te croient capables de réussir, même si tu n’as que 15 ans.

L’OM c’est mon club depuis toujours. Cette année-là l’OM est devenu aussi ma famille. 

Une famille dans laquelle on a le droit de se tromper. Où lorsqu’on se fait attraper par le coach Christophe Parra en pleine bataille de mousse avec Cindy Caputo, Maëlle Lakrar et Johanna Orlando, on se fait engueuler mais comme les ado que nous étions. Ni plus ni moins.  Le coach a su insuffler ça dans l’équipe, chacun à sa place, avec sa personnalité.

Cette année là, je me suis sentie bien à Marseille. À la maison. Parfois on fait des bêtises et on se fait engueuler mais la plupart du temps on partage des tranches de vie. On lutte ensemble, on gagne ensemble. Et on gagne beaucoup.

Durant toute la saison, on est au coude à coude avec Dijon pour la montée. 

Le 23 avril 2016, c’est la veille DU match. Le jour est particulier parce que le 24 c’est aussi l’anniversaire de mon père. J’ai tellement hâte d’être à demain, comme avant mon premier test. Je vais jouer LE match qui va nous offrir le ticket pour la D1, celui qui va nous permettre de marquer l’Histoire de l’OM. La première montée du club, de mon OM. Quoi qu’il advienne, c’est écrit pour toujours qu’ensemble, on aura offert à l’OM sa place dans l’élite.

Barbara Bouchet inscrit le 1er but et Amandine Blanc se charge de sceller notre destin en inscrivant le 2e en fin de match. Explosion de joie mais on a attendu pour célébrer la montée. Conformément à la volonté du coach, on a attendu le dernier match à domicile et le sacre de Championnes de D2 pour aller fêter ça au Goudes dans le 9e arrondissement, tous ensemble, staff et joueuses.

J’ai attendu tout ce temps pour les remercier.

Aujourd’hui je saisis cette occasion pour vous dire merci. Merci de m’avoir fait grandir, merci de m’avoir permis de me construire en tant que joueuse et en tant que femme. Merci de m’avoir offert la chance de vivre mon rêve: écrire une page de l’Histoire de l’OM en devenant les premières olympiennes à atteindre l’élite.

Merci mes perles.   

Tess.

 

TESS LAPLACETTE

Arrière droite de l'Olympique de Marseille

Vice-championne D2 Féminine
2019

Championne D2 Féminine
2016

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