Vincent Clerc
Les poches de pantalon. Le manteau. Le sac de sport. J’ai beau chercher partout, rien n’y fait. Cet instant de panique, on l’a tous connu. Mais il y a aussi des moments où justement, ce n’est pas le moment. Même quand on a à peine 20 ans. Même quand on est insouciant. Ce que je cherche, c’est ma putain de carte d’identité. Et si je me liquéfie, c’est parce que j’ai beau être jeune, je n’ai pas l’avenir devant moi. Mon moment, c’est maintenant. La suite, c’est un coup de fil à ma mère. Je vais vous raconter ce moment de panique, mais pour comprendre son existence, il faut d’abord comprendre pourquoi je suis dans cet état là.
C’est l’automne 2001. J’ai eu 20 ans au mois de mai. Je sors de la première saison où je me fais vraiment remarquer. Mieux vaut tard que jamais. Surtout que ça aurait vraiment pu être jamais. Je ne vous dirai pas que le rugby était un loisir mais longtemps, mes capacités physiques m’ont poussé à penser que mes rêves ne rythmeraient que mes nuits.
Laissé, à juste titre, sur le carreau par les équipes nationales de jeunes pendant de longues années, je fais partie de ceux qui auront le déclic tard ou ne l’auront jamais.
Il est justement arrivé cette année-là. Physiquement, je suis mieux. Sportivement, le contexte me sourit un peu plus. Grenoble a été relégué en Pro D2 et Jacques Delmas arrive pour ramener le club dans l’élite. Les jeunes jouent de plus en plus, ce qui n’était pas forcément une norme à l’époque, mais ça éveille suffisamment les soupçons pour que je reçoive une convocation pour une sélection élargie chez les U20, pour une tournée en Irlande et en Angleterre. Je reçois la convocation, le papier. Je me rappelle encore de la liste de fringue qu’on allait avoir. Incroyable. J’étais encore au centre, je n’habitais plus chez mes parents. Je monte à Paris. Le train vers le bonheur.
J’arrive à l’hôtel, près de l’aéroport de Roissy. J’y retrouve Jean-Claude Skrela, pour mon check-in. C’est à ce moment que je m’en rends compte. Vous le connaissez, ce moment ou vous cherchez quelque chose dont vous savez que vous ne l’avez pas, mais vous ne savez pas trop comment ça va se passer. Je suis bien obligé de le dire au coach. Sa réponse ne se fait pas attendre.
« Bon mon petit, bah tu peux rentrer chez toi. On va appeler un ailier parisien pour faire le nombre ».
Et je peux repartir avec les équipements, ou pas ? Si j’avais eu le temps d’avoir un peu d’humour, c’est certainement ce que j’aurais pu penser. Au lieu de ça, j’ai demandé si je pouvais avoir du temps pour trouver une solution.
« Tu as jusqu’à demain matin, 8h ».
Je prends mes bagages, je me tire de l’hôtel. Dans ma tête, c’était limpide : j’avais le temps. Un train de nuit, un peu de bonne volonté. De l’auto-stop même, s’il fallait. C’est mort, je n’allais pas rater ça.
Mon plan prenant un peu de plomb dans l’aile au fur et à mesure que la réalité se dressait devant mes envies de TGV Paris-Grenoble à n’importe quelle heure de la nuit, j’appelle ma mère. Elle me dit de ne pas paniquer, qu’elle va appeler la police aux frontières de l’aéroport. Je raccroche, presque apaisé par la sérénité affichée par ma mère.
« J’ai réussi à avoir le responsable. Il m’a dit que tu devais faire semblant d’avoir perdu ta carte d’identité, demain matin. Tu vas faire comme si c’était un vol, puis tu rempliras une déclaration de perte et ils te donneront un papier d’urgence, pour que tu puisses voyager ».
De sa bouche, ça avait l’air limpide. De ma chambre d’hôtel, à une heure trop tardive pour pour pouvoir en parler aux coachs. La nuit a été longue. Je ne suis pas de nature stressée, mais de mémoire, je n’ai jamais été aussi stressé de ma vie, peu importe l’événement qui m’attendait. J’avais tellement peur de passer à côté de ça.
Le lendemain, les entraîneurs me disent :
« ok, on tente ».
Seul avec ma peur, je monte dans un petit bureau situé à l’étage.Je discute avec la police aux frontières. Ils sont bienveillants. Ils me disent vite : « tu vas pouvoir partir ». Ils m’ont filé un petit papier jaune que j’ai gardé collé contre moi comme si c’était le truc le plus précieux que j’avais.
Pourquoi ? Parce qu’une fois parti, je suis parti. On peut toujours réécrire les histoires, mais je n’ai pas une seule idée de ce qu’aurait été la mienne si les choses n’étaient pas allées dans mon sens ce jour-là.
Dans le groupe, je ne connaissais personne, mais les mecs ont été sympas. Je suis arrivé, j’étais le garçon un peu réservé, en observation, comme quelques autres nouveaux. Il y avait Grégory Lamboley, c’était le papa à l’époque. Il parlait fort, tout le monde était autour de lui. C’est drôle de se remémorer ça quand on connait la relation qui nous lie des années plus tard.
Au final, j’ai joué un match contre l’Irlande et un autre contre l’Angleterre. Derrière, je fais le Tournoi des VI nations U20, avec le match d’ouverture chez moi, au stade Lesdiguières. Un souvenir incroyable, surtout que dans la foulée, on fait le Grand Chelem. Après ça, en novembre 2002, je suis convoqué avec les grands, puis je suis transféré à Toulouse. Ma carrière est lancée. Grâce à un bout de papier jaune.
Je n’en ai jamais trop reparlé avec ma mère. Mais maintenant que j’y repense : merci, maman.
VINCENT CLERC
International Français, Ailier au RC Toulon
Vice Champion du Monde
2011
Champion d’Europe
2003, 2005, 2010
Vice Champion d’Europe
2004,2008
Champion de France
2008, 2011, 2012
Vainqueur 6 Nations
2004, 2007, 2010
Recordman d’essais de l’histoire de la Coupe d’Europe
Recordman d’essais du top 14