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Tom Pagès – « Deux roues, une vie »

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Je connais un paquet de bosseurs. Dans mon sport, certains sont à mon image : des travailleurs acharnés. Mais je crois qu’aucun ne sacrifie autant sa vie personnelle que moi.

Et de vous à moi, s’il y en avait ne serait-ce qu’un, cela signifierait une seule chose : que j’ai du pain sur la planche, que je dois en faire encore plus.

Car s’il y a bien un truc que j’ai appris, c’est qu’il n’y a que comme ça que tu deviens meilleur que les autres.

© RedBull

 

Du coup, j’ai monté un « chez moi ».

Si je vous dis que j’ai acheté une masia de 20 hectares en Espagne, dans la région de Gérone, je suis à peu près sur que vous allez trouver ça hyper cool. Sauf qu’au moment où je vous écris, le domaine ressemble à un camping, la maison est en construction et je dors dans un petit mobile-home à côté de tout ce chantier.

Ici, j’emploie un pote qui fait « helper ». Il est tantôt mécano, tantôt autre chose, mais il m’aide toute la journée. Et croyez-moi, les journées sont longues. Au menu, pas de jour de congés, pas de vacances et, évidemment, pas trop de vie perso. Je me consacre uniquement à mon sport.

Du coup, sous réserve de la bienveillance de la météo à mon égard, le menu est le suivant :

–  Entraînement matin et après-midi, tous les jours de la semaine, même le dimanche.

–  Entretien de la moto, toute la partie mécanique.

– Entretien du terrain, de l’airbag, du bac à mousse et, évidemment, l’entretien des machines pour l’entretien du terrain.

© RedBull

 

Si je devais résumer ça à une plage horaire, ça ressemblerait à un 7h30 – 21h.

Au-delà du rythme que je m’impose, je dois avouer que le freestyle motocross est un sport qui coûte cher. J’investis beaucoup de mes revenus dans tout ce matériel. J’entends parfois dire que ce sont des caprices, mais les meilleurs investissent dans le matos’. Et au pire, si tout s’arrête demain, j’aurais appris un métier, je pourrai faire mécano.

Tout ça, je le fais en partie parce que je n’ai pas l’impression d’être le plus doué ou le plus talentueux. J’ai l’impression que si je ne m’adonnais pas à cette rigueur, les autres seraient largement meilleurs. Quand je gagne, je me dis que c’est parce que j’ai eu plus de réussite ou que j’ai tenté une figure plus innovante. Jamais parce que j’ai plus de talent que les autres.

Du coup, le rapport à la moto a changé. Au début, c’était presque un jeu. C’était drôle. Puis est arrivé le moment où j’ai eu plus d’attentes envers moi-même. Il fallait faire une belle prestation, il fallait rendre les gens heureux. Alors je me suis imposé ce train de vie. C’est devenu quasiment obsessionnel. Ça ne m’a plus jamais quitté.

Les angoisses qui vont avec non plus. Avec le stress, je me renferme. J’ai beaucoup essayé de garder toutes mes angoisses pour moi-même, à un certain point, ce n’est pas simple.

Au bout d’un moment, il y a de la solitude mais je pense qu’elle est voulue.

Mon sport et ma carrière m’angoissent. Parfois, c’est simplement du court terme, à cause des compétitions à venir. Parfois, c’est du long terme, quand je pense à mon avenir. Professionnellement, tu te dis que ça va s’arrêter à un moment. Tu as peur de la blessure, aussi. Tu te demandes ce que tu vas devenir, comment tu vas faire financièrement. Puis j’angoisse aussi sur ma performance. J’angoisse de ne pas être bon.

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Et la notion de plaisir dans tout ça ? Elle est présente, mais majoritairement dans le résultat du travail. Je prends du plaisir dans ce que j’accomplis car je suis quand même fier de ce que je fais. Il y a aussi le plaisir de gagner, de faire des nouvelles figures, de dépasser ma peur. Comme le fait de commencer une journée en me fixant un défi et de la finir en y arrivant, sain et sauf. Là, tu kiffes.

Mais l’angoisse et le stress disparaissent rarement. Car le risque va de paire avec l’entraînement. Ça ne me rend pas toujours très aimable. Je suis souvent sur le fil, sur les nerfs.

Il faut dire que je n’ai jamais aimé perdre. Petit, les jeux de sociétés en famille, ce n’était pas trop mon truc. Je ne supportais pas non plus qu’on me dise que j’étais mauvais perdant. Ça m’était insupportable.

J’ai compris beaucoup de choses en travaillant avec ma psychologue, Isabelle Inschauspé, on a réussi à mettre des mots sur des problèmes pour après les travailler et les surpasser ça a été beaucoup plus simple. Je connaissais mes faiblesses. Et de là, il s’est imposé une rigueur et c’est sûr que quand je suis sur la moto, je me mets en condition pour que personne ne me dépasse.

C’est pour ça que j’essaye d’en faire toujours plus que les autres. C’est pour ça que je pense être le seul à sacrifier autant sa vie personnelle.

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C’est sûr que c’est un peu compliqué de se dire que j’en suis là où j’en suis à 34 ans. Seul. Mais si j’avais fait l’inverse, j’aurais été malheureux. C’est ce qui me rassure aujourd’hui. J’aurais été malheureux car si je n’avais pas mis toutes les chances de mon côté, si je n’avais pas fait tous ces sacrifices, j’aurais tenté ma chance à moitié. Et ça, je le vivrais mal.

Ça m’aurait amené, à ma retraite sportive, à me dire des choses que j’entends parfois, de la bouche de certains, et que je le comprends pas. Le fameux « si j’avais voulu ou si j’avais pu, j’y serais arrivé ».

Je suis fier aujourd’hui de pouvoir dire que si j’ai ce que j’ai, si j’ai eu ces opportunités, c’est grâce à des sacrifices.

Je n’étais pas top à l’école et en même temps, vu que Charles, mon grand frère était mon modèle, ce n’est pas très dur de comprendre pourquoi ! Mes parents ont bien essayé de me motiver en me disant que pour aller rouler le week-end, il me fallait un beau 14 de moyenne, ils savaient bien que c’était impossible !

Mais, petit exploit, à 15 ans, j’accroche presque les 12,5 sur un trimestre, et ils acceptent de m’acheter une bécane.

Alors pendant un an, je braque la camionnette toute pourrie de mon père et je fais des allées et venues dans les déchèteries de la région pour récupérer des coussins de canapé, des matelas, tout ce qui peut servir à la construction de mon premier bac à mousse. Puis je plante quatre bons poteaux dans le jardin familial, et avec un coup de grillage, je donne naissance à notre premier bac à mousse.

Je ne vais pas vous raconter comment on en sortait parce que soit vous allez me prendre pour un fou, soit mon père va encore me demander ce qu’on faisait avec sa 205 de l’époque et les poulies qui y étaient accrochées.

C’était le début de l’aventure.

Après ça, je suis sorti de l’école et je suis allé travailler en interim à l’usine. Je crois que c’est ce qui m’a vraiment boosté pour réussir.

J’étais dans la région nantaise, j’ai fait un peu plus de 6 mois dans une usine de vélo, à la section emballage. Mais dès que j’avais un peu d’argent de côté, c’était pour acheter des pièces pour la moto. Vu que je faisais les deux 8, ça me laissait une matinée ou l’après midi pour aller dans les déchèteries pour m’occuper de ma bécane et du bac à mousse.

On faisait ça tous les jours avec Charles, sans cesse. Certains me disaient que j’avais de la chance de faire ça avec mon frère. Mais pour moi, à l’époque, je faisais ça avec un « mec ». On se tirait grave la bourre ! À un tel point qu’après, en compète, j’avais l’impression que ça n’en était plus tellement c’était la guerre tous les deux.

© RedBull

Avec le recul, il faut aussi admettre qu’on a des parents uniques qui nous ont soutenus au début quand on avait pas les moyens. Quand on avait pas les sous pour louer une pelleteuse, 500/1000 balles le weekend, parfois mon père se saignait pour qu’on puisse le faire.

Aujourd’hui, j’ai la pelleteuse à la maison, non loin du mobile-home. Ça en fait, du chemin de parcouru.

A croire que les sacrifices en valaient la peine.

Tom.

 

TOM PAGES

Freestyler français de Motocross

Vainqueur X Games – MotoX Freestyle -Sydney, Australie
2018

Vainqueur X Games – MotoX Freestyle – Minneapolis, États-Unis
2018

Vainqueur Ullevaal Xtreme – Oslo, Norvège
2018

Vainqueur Finist’air Show – Briec, France
2017

Vainqueur AUS X-Open – Best Whip Samedi – Sydney, Australie
2016

Vainqueur AUS X-Open – Best Whip Dimanche – Sydney, Australie
2016

Vainqueur AUS X-Open – Best Trick Dimanche – Sydney, Australie
2016

Vainqueur Red Bull X-Fighters (en) – Madrid, Espagne
2016

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